Rencontre avec Valérie Rouzeau, poète
« Vivre-écrire... », notre rencontre avec Valérie Rouzeau
Au cours de cette entrevue, nous avons rencontré pour la première fois une poète vivante et charmante. Humble mais captivant l'attention de tout le monde, elle a su allumer en nous la flamme de la poésie. Comme en témoignent beaucoup, le simple fait qu'elle parle procure une agréable sensation et même une émotion sensible. « Elle dégageait vraiment une émotion, par sa présence et sa parole », comme dirait Charlène.
Pour Laurane, cette rencontre a permis de mieux appréhender ses poèmes. « Le fait qu'elle fasse rarement des rencontres en collèges et lycées donnait l'impression d'être des ''élus '' », précise t-elle. Camille quant à elle est satisfaite de cette entrevue au cours de laquelle elle a pu « mettre un visage sur ces poèmes et de comprendre les raisons qui l'ont poussée à écrire ceux-ci ».
Pour Clémentine, sa personnalité intéressante contraste avec ses poèmes qui laissent un goût d'inachevé. Fatoumata a quant à elle fortement apprécié la personnalité de l'auteur, qui bien qu'elle soit connue n'est pas extravagante et a su s'adapter à notre « ivresse de la jeunesse ».
Elle a su passer outre sa peur de la communication pour nous procurer deux heures d'intenses émotions et nous laisser entrevoir une partie « cachée » de son vécu. Pour combattre sa timidité, angoisse récurrente au long de sa vie, elle utilise son humour et son côté dérisoire pour se métamorphoser en une autre Valérie Rouzeau…
(Charles C.)
C'est dans un silence semi-religieux que nous avons accueilli Valérie Rouzeau (elle a fait le trajet depuis Nevers juste pour nous), auteur de poésie depuis sa plus tendre enfance et au pied foulé depuis trois semaines déjà.
D'emblée, elle nous a confié qu'elle n'aimait pas les collèges et les lycées, parce que ça lui donne l'impression de rentrer dans une caserne, et elle s'y sent mal à l'aise. Ce sentiment lui provient de son histoire personnelle mais aussi de sa recherche quotidienne de liberté. Celle qui prétend être timide et gênée par la prise de parole orale nous a tout de même dévoilé un pan de son intimité pendant deux heures, ce mercredi 12 décembre. Un moment unique et extrêmement enrichissant.
Déambulations
C'est à l'âge de sept ans qu'elle commence à écrire de la poésie. Oh, rien de bien fantastique, nous dit-elle, c'était juste pour occuper ses frères et sœurs quand elle devait les garder. Étant l'aînée d'un fratrie, elle confectionnait des marionnettes et des petits poèmes pour faire le spectacle, derrière le canapé.
Ces petits personnages faits de crayons de couleur pour le corps, d'une balle de ping-pong pour la tête et de coton hydrophile pour les cheveux marquent le point de départ, « ma première expérience est insouciante » explique t-elle. Car à l'époque, l'écrivain qui a reçu récemment le prix Guillaume Apollinaire avait d'autres plans d'avenir en tête : « Je pensais que je deviendrais clown. Ou bien pilote d'avion ! ».
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A l'école primaire, une maîtresse d'école passionnée de poésie, (la même du CP au CM2) lui transmet son goût pour ce genre littéraire : « On devait apprendre des poèmes entiers par cœur ! Mes frères 2 et 3 détestaient ça ». Mais « c'est pas le but de la poésie d'être au programme, faut que ça reste vivant. Je détestais tout ce qui était oral ». Elle commence donc à griffonner dans son « croc-moque » des petits vers, mais ne les montrait guère et ne parlait de poésie qu'avec ses amis les plus proches parce que « c'était trop intime ».
Comme la plupart des écoliers, elle commence par la poésie de Robert Desnos, avec qui elle a appris à écrire. Depuis, elle ne le quitte jamais « J'ai acheté ses œuvres complètes. Lui, il ne m'ennuie jamais, il est bon pour moi. Il est mon premier phare » glisse t-elle en référence au poème de Baudelaire. Car même si, à ses yeux, « il n'est pas vivant », la poésie classique restera à ses côtés jusqu'au lycée, où elle suivra un filière A2 (l'ancêtre de la L, où l'accent était mis sur les langues vivantes). « C'est drôle parce que j'ai pas oublié ça alors que j'ai oublié des pans entier de mon collège-lycée ». Le lycée, parlons-en. Cette période où elle était pensionnaire lui a tout de même permis de faire ses premiers pas métriques. Un samedi pluvieux, où elle n'avait pas assez d'argent pour sortir et ne voulait pas « vivre sur le dos » de ses copines, elle recopie une série de poèmes sur un bloc sténo, au CDI. Elle feuillette un magazine, Poésie 1, trouve l'adresse d'un éditeur et décide de lui envoyer ses poèmes manuscrits. Elle avait alors dix-sept ans. En retour, elle reçoit un réponse en demi-teinte : « c'est bien, mais va falloir travailler qu'il m'avait dit ».
Cinq ans plus tard, elle publiera chez l'éditeur Guy Chambelland. Elle finit le lycée avec son bac en poche mais alterne les petits boulots avant de reprendre ses études, notamment celui de VRP. Alors qu'elle vendait des encyclopédie pour Hachette, en porte à porte, elle apprend que si l'on percevait des allocations chômages on pouvait les convertir en allocations études. Oui mais voilà, elle n'est pas au chômage. « Comment devenir chômeur ? En se faisant virer sans commettre de faute professionnelle ! ». Elle se fait virer, n'étant plus assez rentable, s'inscrit à la faculté François Rabelais de Tours et décide de faire Lettres Modernes. Mais elle n'est pas acceptée, ne voulant se tourner vers une carrière d'enseignante, et choisit Lettres Anglaises.
Après une licence et un mastère qu'elle clôt par un mémoire sur Sylvia Plath « elle était pas assez traduite ! », elle se tourne donc vers le métier de traductrice. Elle nous avertit : « Le traducteur doit être un créateur avant tout. Sinon on obtient un navet », ajoute t-elle dans un sourire, après l'évocation de l'une de ses anecdotes sur 'turnip'' (navet) et topinambour, dans l'une de ses traductions d'un poème sur un mère qui porte son enfant. « Topinambour, ça roule, c'est rond. Comme le ventre ! ».
Elle part alors à Paris, et vit pendant neuf ans dans un minuscule studio en Seine-Saint-Denis « dès que je me tournais, je faisais tomber une pile de livres ! ». Durant cette époque, elle reçoit un jour un fax de son éditeur qui lui donnait rendez-vous avec un certain Nicolas Sirkis, à la sortie d'un concert. C'est ainsi qu'elle rencontre rencontre pour la première fois le chanteur du groupe Indochine qui lui demandera par la suite d'écrire pour le groupe.
Elle pourra se vanter de cette collaboration qui se retrouve encore sur le prochain album, Black City Parade, sortant le 11 février prochain. Album en hommage à la danseuse et chorégraphe allemande Pina Bausch ou encore à Mireille Havet, sur lequel on retrouvera la "patte" de Valérie Rouzeau et un peu sa voix enregistrée. Cet exercice difficile où il faut prendre en compte la personnalité de l'artiste, la mélodie et les rimes permettra à la poète de se rendre compte que ses « poèmes ne sont pas faits pour être chantés ». En résulteront tout de même les chansons LadyBoy ou Tallulah et Comateen2.
Faire la différence
Pour ce qui est de la poésie, Valérie Rouzeau est une des rares auteurs qui ne vit que de son écriture, ce qui n'est pas toujours facile. Mais malgré les interdits bancaires et les périodes de rame, elle n'a jamais été découragée de faire ce qu'elle sait faire de mieux (et là seule chose qu'elle sache faire, selon elle).
Elle qui ne dit ne pas savoir lire un contrat : « faut que j'apprenne à lire ces trucs-là »). Mais c'est par choix qu'elle continue, persiste et signe : « je préfère cette situation précaire avec l'illusion d'être libre que de devoir dire ''oui chef'' tous les matins ».Malgré ses moments de galère, aurait-elle peur de l'échec ? « Je ne pense pas en termes d'échec ou de réussite. C'est pour les hommes d'affaires ça ».
Au moins, c'est un côté de la littérature où les éditeurs ne mettent pas la pression « parce que qu'ils savent qu'il ne vont pas gagner beaucoup ». Et puis, « si le but c'est de gagner de l'argent, faut pas faire de la poésie », parce qu'on « ne sait pas sur quel pied danser. C'est pour ça que je me suis esquinté le pied ! » ironise t-elle de ses récents malheurs.
-- D'un certain côté, le poète serait donc un peu comme tout le monde, mais à part ? « Je ne me sens pas extraterrestre. Je n'aime pas tout ce qui est grégaire » confit-elle, en évoquant ses souvenirs d'enfance, où ses parents qui vivaient de peu habillaient leurs enfants « pas comme tout le monde ». Ne pas être grégaire c'est une question de regard, c'est ne pas s'endormir et se laisser aller.Il y aurait donc une côté ''je ne suis nulle part '', une certaine marginalité. Comme les gargouilles d'une cathédrale : elles font partie du bâtiment mais sont créées après, sont les marges libres de l'architecture.
De plus, un artiste peut toujours dire qu'il a fait les Beaux-Arts mais le poète, lui, n'a aucun diplôme. On peut très bien être talentueux, écrire des œuvres d'art, et pourtant travailler dans l'ombre toute sa vie. Comme par exemple Henri Simon-Fort, grand poète à ses yeux, qui a travaillé toute sa vie en haut des pylônes EDF. « Je ne dis pas que c'est l'art du pauvre mais tout le monde peut essayer, ça ne fait pas de mal à personne ! » Parce que d'une feuille et d'un crayon, le poète est armé. Quant à faire une biographie, la question est un peu ironique. « Ta façon d'écrire parle pour toi ». Et puis, « on s'en fout un peu, de la vie complète de l'écrivain ». Après tout, on apprécie les mots, par la personne.
Notre auteur se cache derrière son humour une nouvelle fois pour dépeindre sa difficulté à affronter le monde « La vraie Valérie elle est restée à Nevers, 5h c'était trop tôt. On n'est pas des rocks star ». Car la timidité ne transparaît pas beaucoup à travers l'écriture. Le talent par contre, parle de lui-même, on n'a pas besoin d'une photo pour associer le génie d'une écriture avec son écrivain. « Vous croiseriez James Sacré dans la rue, vous ne le reconnaitriez pas. Mais quand vous lisez un de ses textes, ''Ah oui !'' »
La poésie serait donc une façon d'échapper à son quotidien, une façon d'avancer dans la vie ? « Je n'ai jamais écrit pour me sentir mieux. Ce n'est pas thérapeutique. » Mais si ce n'est pas pour soi-même, alors pour les autres ? « Ça ne m'a pas soignée moi-même mais ça me donne l'impression d'être différente des autres, d'être libre ». Toujours cette recherche de la différence.
Thibaut lit le texte qu'il a composé pour accueillir Valérie Rouzeau
Pourquoi au juste écrire de la poésie et d'où vient l'inspiration ? -- « La lecture et la vie ». Mais en ce qui concerne Pas Revoir, « c'est d'abord la vie ». En effet, ce poème est dédié à son père disparu. « Dans mon esprit, c'est le petit Poucet. Y'a des petits cailloux pour le remplacer ». Chaque poème agissant ainsi comme une pierre, donnant naissance à « des poèmes qui portent et permettent de dire quelque chose » comme le font Jacques Roubaud, Antoine Emaz, Yves Charnu (son préféré) ou encore Ariane Dreyfus.
« Quand Papa est mort »
Pas Revoir (Valérie en lit des extraits pour le journal Libération) est donc une forme moderne de la tradition du tombeau littéraire. Écrit tout d'abord pour l'enterrement, Valérie Rouzeau trouvait le premier jet « trop funèbre » et l'a réécrit, en effectuant une coupe drastique parmi les textes pour finalement « obtenir quelque chose qui ressemble à la relation que j'entretenais avec lui. Quelque chose de plus joyeux, même si la mort n'est pas quelque chose de joyeux ». Cette écriture est avant tout une histoire personnelle, elle n'a donc pas « pensé un seul instant aux lecteurs, je ne suis pas une travailleuse sociale», confie-elle,« Parce que ceux qui pensent d'abord aux lecteurs sont malfaisants et calculateurs. », ne pouvant que nous rappeler ses mots précédents sur l'aspect mercantile de la poésie. Son écriture est bien la preuve de son désir de différence, où ses fautes anti-grammaticales sont faites exprès: « je ne voulais pas faire quelque chose comme tout le monde ».
Quant à Neige Rien, le début d'un vers holorime qui peut être lu aussi comme ''N'ai-je rien '' est une série de portraits, où elle voulait « parler d'autre chose ». Ecrit pour remercier Nicolas mais aussi pour immortaliser ces enfants d'une classe de CM2 de zone d'éducation prioritaire. Bien qu'elle assure ne pas écrire pour se soigner, Valérie Rouzeau s'implique dans des projets d'écriture, comme son atelier de parole à Avignon, selon la commande d'une metteuse en scène qui accueille par exemple une femme vivant dans un bidonville et qui trouve dans ces rencontres un certain réconfort. Car comme le dit Antoine Emaz, la poésie c'est ''Vivre-écrire", en un seul mot. On est loin de l'image du poète rêveur, assis à la fenêtre et cherchant l'inspiration dans la transcendance divine : c'est maintenant un acte d'écriture quotidienne.
Et si elle n'écoute pas la radio, avec sa dose journalière de sinistres et catastrophes, préférant France-Musique, c'est parce qu'elle croit « au pouvoir des mots. Parce qu'ils ont le pouvoir de vous plomber, ça vous affecte. », explique t-elle, comme pour contraster avec son éducation athée.
Enfin, celle qui est atteinte de « traductionnite, mais je me soigne » et qui vient d'achever la traduction d'une sélection de berceuses (de Chet Baker, Billie Holiday) « pour mon frère numéro 6 qui vient d'avoir un bébé » nous félicite de ne pas avoir posé un type de questions : celles qui commencent par combien. « Parce qu'on s'en fiche de ''combien '' ».
Une séance de dédicaces improvisée pour conclure la rencontre et nous nous dispersons dans un dernier applaudissement
-- « You inspired me ! » pourrait-on dire, si l'on était américain.